Audi invente le 4x4 turbo, Lancia peaufine ses propulsions de dingues, Peugeot crée une usine dans une usine à Vélizy. Et au milieu de ce barnum, un vieux lion regarde sans bouger : Enzo Ferrari.
1986 : le prototype de l’enfer
En 1986, cinq châssis “Evoluzione” sont assemblés.
Carrosserie carbone-kevlar, énormes extracteurs, prises NACA sur le capot, aileron fixe à la place du moteur.
L’auto est plus courte, plus large, et bien plus dangereuse.
Les chiffres claquent : 940 kg, 650 chevaux, un 0 à 100 en 2,8 secondes, vitesse de pointe estimée à 370 km/h.
Le châssis 50253, premier construit, roule sur la piste de Fiorano au printemps 1986.
Ferrari y installe un système d’injection Weber-Marelli F1 et une cartographie qui fait pâlir les bancs d’essai.
Les pilotes d’essai racontent une voiture “ingérable”, avec un turbo-lag à te catapulter dans la stratosphère si tu rates ton point de corde.
“L’Evoluzione, c’était une bête.
À 5.000 tours, tu pensais que c’était fini. Et à 5.001, l’enfer commençait.” Dario Benuzzi, pilote essayeur Ferrari
Mais pendant ce temps-là, dehors, le monde brûle
Le 2 mai 1986, Henri Toivonen et son copilote Sergio Cresto se tuent au Tour de Corse dans une Lancia Delta S4.
La voiture explose, le Groupe B s’écroule.
Quelques jours plus tard, Jean-Marie Balestre (le fameux “dealer de liberté” du premier épisode) annonce l’interdiction immédiate de la catégorie pour 1987.
Ferrari, elle, n’a même pas encore fini ses essais.
L’Evoluzione naît dans le silence, alors que la FIA enterre la folie.
Le mythe : cinq voitures, cinq destins
Les châssis sont numérotés 50250 à 50255.
Cinq exemplaires complets, plus un proto à moitié monté.
Certains finissent à Maranello, d’autres chez Michelotto, le préparateur officiel.
Un exemplaire sera vendu à un collectionneur japonais, un autre utilisé comme mule aérodynamique pour la F40.
Le prototype 50253 reste la voiture de développement officielle.
Les quatre autres dorment aujourd’hui dans des collections privées, estimées à plus de 4 millions d’euros chacune.
Ce qu’elle dit du Groupe B
La 288 GTO Evoluzione est le condensé de toute la schizophrénie du Groupe B.
Un règlement qui voulait marier la route et la course, la série et le proto.
Une liberté totale offerte à des ingénieurs qui n’avaient plus de frein.
Une génération persuadée que la technologie sauverait tout.
Le Groupe B, c’est cette période où les ingénieurs se prenaient pour des poètes et où les poètes dessinaient des bombes.
Ferrari arrive pile à ce moment : trop tard pour courir, trop tôt pour comprendre.
Résultat, une voiture née pour le chaos mais condamnée à la contemplation.
“Elle symbolise ce qu’était le Groupe B : la puissance sans contrainte et la mort comme spectatrice.” Autocar, rétrospective 2001
Fun facts à raconter à la machine à café du taff
– La 288 GTO Evo a été homologuée en Groupe B en mars 1986, mais aucune course n’existait plus dans la catégorie au moment de sa présentation.
– Elle développait plus de puissance au litre (227 ch/litre) qu’une F1 turbo contemporaine.
– L’aéro avait été dessinée en partie dans la soufflerie Pininfarina de Cambiano, la même que celle utilisée pour la Testarossa.
– Un des cinq châssis a été vendu en 2019 par RM Sotheby’s à plus de 3,9 millions d’euros.
– Le son du V8 biturbo à Fiorano a été enregistré pour le jeu vidéo Gran Turismo 4 mais la voiture n’a jamais roulé en vrai sur la piste